L’homme et l’hirondelle

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L’homme et l’hirondelle

L’homme et l’hirondelle

 

Il y a dans nos Charentes de petites créatures que nous voyons survoler au-dessus de nos campagnes et nos villes. Ces petites créatures viennent de loin et chaque année, à la même époque, nous rendent visite et se posent dès que les beaux jours arrivent. Nous les voyons et comme pour nous remercier de notre hospitalité, ces petites fées des airs nous font de bien curieuses danses.

L’histoire se passe il y a de cela très longtemps dans un village entre Nersac et Fléac, tout près d’Angoulême. Ce village est un de ces lieux typiques de Charente où nous respirons ruralité et tranquillité à pleins poumons.

Un homme de ce village des Charentes se levait toujours à la même heure et ce, à tout moment de l’année et par tous les temps. Cet homme qui travaillait la terre était un homme simple et travailleur comme tous les hommes du village à cette époque lointaine. L’homme se levait chaque matin et regardait le ciel matinal. Il prenait le temps de lire les nuages ou le vent et savait si le temps allait se gâter ou pas durant la journée. Il n’avait nul besoin d’instrument. Il lui suffisait de regarder le ciel chaque matin. Il observait le comportement des nuages ou le balancement des arbres.

Un matin des premiers jours de beau temps, alors que les premières lueurs de l’aurore venaient, l’homme regarda le ciel pour savoir si la journée allait être radieuse sous un beau ciel ou clapotante sous les gouttes. Il remarqua un petit oiseau qui était venu sans que l’homme ne s’en rende compte et qui se posa sur une branche d’arbre à quelques mètres de lui. C’était une hirondelle. L’oiseau semblait le regarder, pensa l’homme qui observait les nuages et sentit le vent sur sa joue mais l’hirondelle ne cessa pas de le regarder et l’homme en était bouleversé. Il ne se concentra pas comme chaque matin, il était comme hypnotisé par le regard de l’hirondelle. Il regarda ce petit oiseau qui était là sur une branche d’un arbre qui le scrutait. Il ne savait que faire, il ne pouvait bouger. L’homme était pris de vertige et comme il lui était apparu, l’oiseau disparut du regard de l’homme et à ce moment, l’homme s’écroula sur la terre.

L’homme se réveilla, il ne savait pas où il était. Il avait mal aux os et avait des bourdonnements dans la tête. Il était, lui sembla-t-il, recroquevillé. Il lui était incapable d’ouvrir les yeux. Il ne pouvait bouger, il était simplement là, couché. Peu à peu l’homme put bouger ses membres, il écarta ses bras mais remarqua qu’il lui était incapable de sentir ses mains et ses doigts. L’homme ne pouvait toujours pas ouvrir les yeux, il était comme un nouveau-né. Dans cette obscurité naissante dont il n’avait conscience, il se mit sur ses membres inférieurs et se sentit léger comme si d’un poids il s’était débarrassé.

L’homme était dans un endroit qui ne lui sembla pas familier. Il n’entendit rien autour de lui comme si d’un lieu inconnu il était. Il sentit la fraîcheur qui lui caressait son corps, il était comme nu, sans vêtement mais il n’avait pas froid. L’homme ne paniqua pas et peu à peu, il se mit à ouvrir les yeux qui voulurent s’entrouvrir. Un voile lui couvrait la vue et se dissipa quelques instants après. L’homme remarqua qu’il était perché haut mais ne put voir d’où exactement. Il faisait nuit et l’homme sentit cette fraîcheur qui lui caressait son corps et découvrit qu’il n’avait plus ses vêtements. Il était nu mais ce qu’il vit le troubla car il était recouvert de plumes. Il ne savait que penser mais aussitôt il ferma les yeux et s’endormit.

L’homme se réveilla et sentit les premiers rayons de soleil sur lui. Il se découvrit de ses petits yeux qu’il avait et vit qu’il était effectivement recouvert de plumes. Elles étaient petites d’une teinte bleutée avec quelques reflets gris ou noirs, il n’en était pas sûr. L’homme comprenait pourquoi il ne pouvait bouger ses mains et ses doigts car ceux-ci n’étaient plus et ses bras étaient maintenant de fines ailes pointues. L’homme se redressa et ses membres inférieurs viriles et forts étaient maintenant de fragiles pattes. Il voulut parler mais un petit cri strident lui sortit de sa bouche qui s’était transformée en bec. L’homme regarda ce nouveau corps et vit qu’à l’extrémité de son petit corps, une longue queue fine et fourchue était là.

L’homme du jour au lendemain était devenu une hirondelle.

Il vit plusieurs hirondelles et se demanda si ses créatures n’étaient pas des hommes ou des femmes attrapés dans ces petits corps. D’instinct, l’homme devenu une hirondelle, les suivit et toutes virevoltaient et changeaient brusquement de trajectoires dans leur vol. Il vit de ses petits yeux, la campagne charentaise à perte de vue. Il reconnut son village, les champs où il allait travailler, les vignes qu’il connaissait par cœur. Un peu plus loin, les rayons ricochaient sur une surface qu’il connut que trop bien. Il vit la Charente, ce fleuve qu’il vit dans tous ses états, calme la plupart du temps et impétueux certaines années lors de remarquables inondations. Il quitta le fleuve pour être au plus près de la Nouère, affluent de la Charente, où il voyait son reflet et pensa à sa vie d’avant.

Il ne put s’empêcher de se souvenir.

Il voyait de haut ce qu’il regardait de bas chaque matin. Il pouvait maintenant aller au plus près des nuages et se laissait emporter par les différents courants que donnait le dieu du vent Éole aux créatures ailées. Il observait les hommes dans les champs, les vignerons travailler la vigne et il se souvint que lui aussi était comme eux, se levant chaque matin aux aurores et se rappela qu’il savait lire les nuages et que le vent lui chuchotait à l’oreille. Maintenant, il était au plus près des nuages et, de ces gestes gracieux il les saluait de ses ailes fuselées et de son petit cri strident, c’était lui qui chuchotait au vent. Il était comme ça toute la journée sans se soucier du temps qui passait. Quelquefois il se reposait sur une branche d’un arbre mais très vite, il voulut observer la vie depuis les hauteurs. Il vola et se laissa bercer par le vent. Il allait haut, se laissa retomber pour changer brusquement de direction. Il se jetait dans le vide et à la toute dernière seconde avant que le sol ne l’embrasse, il redressait sa course. Il dansait avec le vent et ses congénères qui l’avaient adopter. L’homme était heureux de ce qu’il était devenu.

L’homme dans ce corps d’hirondelle ne put s’empêcher de pousser un petit cri strident typique de ces petits oiseaux fuselés et toutes autour de lui l’imitèrent. Ensemble, ils se croisèrent à pleine vitesse à quelques mètres au-dessus du sol et jouaient à se rattraper comme si des enfants ils étaient. Par petit groupe, ils saluèrent les nuages et parlèrent au vent. Ensemble, lui et les hirondelles ne firent qu’un être.

Le soir, après une ultime danse au-dessus des champs et des vignes, il se réfugia dans un trou d’un des murs de l’église Saint-Pierre du village. Il n’avait pas peur car il se sentit protégé. Le sommeil le prit dans ses bras, il ferma les yeux et dormit.

L’homme se réveilla le lendemain aux premiers éclats de lumière que donna l’astre solaire. Il était maintenant homme et non hirondelle.

Avait-il rêvé ?

Il n’en était pas certain car il avait le sentiment d’avoir senti le vent sur son corps fin et allongé. Il vit la lueur du soleil lui taquiner la peau et se souvint du même soleil qui lui touchait délicatement ses plumes d’oiseaux et il revit les teintes bleutées de ses plumes avec une pointe de gris ou de noir, il ne savait plus. Il se revit voyant le paysage de haut, il pensa à ces travailleurs de la terre et ces vignerons qu’il voyait de là où il était, caressant les nuages. L’homme repensa à ses cabrioles et se souvenait que lui et ses congénères volaient librement au son du vent. Il se sentait heureux et se dit que peut-être tout cela devait être un rêve.

L’homme se redressa de là où il était et vit une hirondelle qui se posa sur une branche d’arbre à quelques mètres de lui. Les deux se regardèrent un instant et l’oiseau gracieux disparut d’un rapide battement d’ailes. L’homme sourit car il se souvenait.

Les hirondelles sont des oiseaux qui viennent dans nos campagnes et nos villes, nous pouvons les voir ici même à Linars, elles reviennent chaque année. Nous ne savons rien sur ce qu’elles ont vécu pour venir ici. Pourtant si les hommes pouvaient sentir ce que ces hirondelles ressentent d’en haut, je suis sûr que chacun d’entre nous voudrait en devenir une.

 

FIN

Chronique : Ciril le courlitous !